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Retraites : la France, les grèves et manifestations dans la presse hispanique

Il est intéressant de constater que El País, journal espagnol timidement de gauche (et le plus lu en Espagne) a une vision des évènements plutôt anglo-saxonne, c’est-à-dire libérale et critique envers le mouvement social français, alors que la presse latino-américaine rapporte les faits avec neutralité, voire avec une certaine sympathie pour les grévistes.

En Espagne
El País avait pourtant dénoncé, avec pertinence, la politique du gouvernement conservateur espagnol qui, au cours des années 2010, avait augmenté le temps de travail, réduit les salaires, initié le recul de l’âge de la retraite, le tout pour faire baisser à n’importe quel prix les chiffres du chômage, celui des jeunes en particulier. Le même journal avait constaté, encore récemment, que cette politique était pernicieuse et nocive en ce qu’elle avait créé une génération de travailleurs précaires trop mal payés pour se loger, consommer, et dynamiser l’économie nationale. 

Pourtant, lorsqu’il s’agit d’évoquer la situation en France, El País semble s’aligner sans conditions sur ce qu’on peut lire dans la presse européenne, et dans la presse britannique plus particulièrement : il faut réformer ce pays irréformable, les futurs retraités doivent comprendre qu’on ne peut pas « pénaliser l’entreprise » (péché originel) et que par conséquent ils doivent travailler plus, que le déficit commercial français exige que les travailleurs fassent pénitence et gagnent moins… Il faut dire aussi que El País est, lorsqu’il est fait état de la France, macroniste tendance dure. 

Un exemple parlant de ce macroniste dans deux grands titres successifs de El Pais du mois de décembre :
Les Français, ces éternels mécontents, le 22-12-19
Macron réduit sa propre pension de retraite, le lendemain

Dans le premier article, on rappelle la chance qu’ont les Français (protection sociale, médecine, éducation, niveau et espérance de vie parmi les plus enviables de la planète) et on feint de s’étonner qu’ils râlent autant (alors que c’est précisément pour préserver cette qualité de vie qu’il y a conflit, comme le reconnaît finalement et comme à contrecœur un petit encart à la fin du texte)

On lit, comme parfois dans la presse britannique, des analyses absurdes ou fantaisistes, des âneries, pour tout dire : l’article évoque ainsi le proverbial (?) malaise français, et affirme que les revendications des manifestants tournent autour du montant des pensions, parce que, semble-t-il, il est une particularité française : l’association bonheur et argent (c’est vrai que dans les 196 autres nations du monde, l’argent, ça n’intéresse pas beaucoup)

En Amérique latine
L’approche du sujet est plus factuelle et moins consensuelle (même si les journaux commettent la même erreur que dans la presse européenne : présenter la France comme un pays « paralysé » par les grèves)

On trouve par exemple dans Clarin (Argentine) un journal plutôt de droite libérale, des articles documentés et précis sur le sujet du mouvement social français, et dépourvus du fatras critique qui les accompagne dans tant de journaux européens. À noter que la presse argentine est généralement très au fait de ce qui se passe en France.

Dans El Universal, de México, on lit une série d’articles qui mettent en relation le mouvement social actuel et celui des gilets jaunes, qui dénoncent les violences policières, et n’ont qu’un chagrin : que la Torre Eiffel ait été fermée deux fois à cause des grèves !

El Dia (Bolivie) établit une liste des revendications des grévistes français, et rappelle avec une certaine malice que l’âge de retraite est bien plus raisonnable en Bolivie (55 ans pour les femmes, 58 pour les hommes)

On tient peut-être là l’origine de cette sympathie relative des Latino-américains pour notre mouvement social : l’âge de la retraite est, là-bas, souvent plus favorable aux travailleurs qu’en Europe. Et la notion de retraite y est peut-être moins floue que dans certains pays européens ou d’Amérique du nord, où les retraités se voient parfois contraints de reprendre une activité salariée.