Les lieux où se déploient les luttes populaires sont toujours riches d’enseignements. Leur choix obéit à des stratégies politiques et symboliques. Aux Jacqueries les châteaux, aux révolutionnaires la Bastille, aux communards l’est de la capitale, aux étudiants de mai la rive gauche de la Seine. Le mouvement social des gilets jaunes a investi deux espaces inédits : les ronds-points et les Champs-Élysées.

Les ronds-points sont caractéristiques du monde périurbain. Absents des campagnes, ils se succèdent en grand nombre à l’approche des villes. Lieu du mouvement continu, le rond-point traduit l’impossibilité et le déni de toute sociabilité humaine, sauf à se tenir comme des naufragés sur le terre-plein central. Les mots pour décrire sa fonction (fluidité, flux, débit, écoulement) sont les mots de l’hydraulique… et ceux du capital. C’est justement en son centre, sorte d’île déserte, que des femmes et des hommes ont élevé des cabanes, allumé des feux et dressé des barrages filtrants, autre rappel hydraulique. Histoire de ralentir le flux incessant et de prendre le temps d’échanger, de discuter avec des populations qui rament, galèrent et payent de plus en plus cher pour se déplacer entre maison, usine, bureau, magasin, centre de soins, etc. (…)

Le choix de l’avenue des Champs Élysées par les gilets jaunes comme lieu de la première manifestation de grande ampleur est un autre symbole d’importance. Nous étions habitués à des parcours parisiens de manifestation que nous pensions immuables : Bastille-République, Nation-Denfert. Lointain héritage de la Commune de 1871 où l’occupation de l’Est parisien populaire était un enjeu majeur pour les prolétaires. Avec les gilets jaunes, nous nous déplaçons vers les lieux de l’argent et du luxe. Et, les combats de rue qui s’y sont déroulés rappellent qu’il n’est pas d’avancée sociale pour le peuple qui se fasse sans conflit. Les pouvoirs sont d’autant plus virulents que l’on s’approche, d’une manière ou d’une autre, des lieux où se construit et où vit le capital. (…)

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