Tapage 44

Tour d’horizon de la presse espagnole

En Espagne, les journaux présentent la même diversité de forme et de fond que leurs homologues français.  Tapage a fait pour vous  un rapide tour d’horizon de ce que la presse espagnole propose à la population…

El Pais est le journal le plus lu en Espagne (à vrai dire, le deuxième, après Marca, l’équivalent espagnol de L’Equipe). Depuis quelques années, le tirage papier s’étiole, et l’édition en ligne progresse constamment, avec vingt millions de lecteurs (ladite version est gratuite. Comment le journal se finance-t-il ? Ce modeste article n’a pas résolu ce mystère). Il s’agit probablement du meilleur journal de tout le monde hispanique, malgré une baisse de qualité récente. Les articles sur l’actualité de l’Amérique latine y sont généralement bien meilleurs que ceux des journaux latino-américains eux-mêmes, et l’actualité internationale y est traitée avec une rigueur inégalée en Espagne.

Pourtant, l’histoire de El País est tortueuse et son idéologie changeante. José Luis Cebrián, premier directeur de cette publication (née juste après la mort de Franco et clairement opposée à la dictature), était, peu de temps auparavant encore, journaliste à Informaciones, un journal à la gloire du régime. Il sera même directeur de la télévision espagnole sous Franco… Cela n’empêchera pas El País de prendre clairement position contre la tentative de coup d’état de 1981 (visant à rétablir un régime fasciste), à l’inverse d’autres journaux qui observeront pour l’occasion un prudent attentisme.

Revirements

Jusqu’aux années 2000, le journal soutiendra clairement et sans discernement le parti socialiste et les gouvernements d’obédience socialiste, même dans les scandales de tout ordre qui entachent le PSOE. En 2010, curieux revirement : un conglomérat américain, ainsi que la Bank of America et la Deusche Bank, entrent au capital du journal, et imposent une ligne éditoriale de centre-droit. Cent-vingt-neuf journalistes sont licenciés. El País gagne en consensualité mais perd en fiabilité. Le journal oublie par exemple tout quant à soi dès lors que sont abordés certains thèmes, dont voici un florilège choisi dans une actualité récente. La Catalogne : l’indépendance, pour El País, c’est la géhenne en Espagne. Un journaliste ayant critiqué l’approche de la crise catalane par le gouvernement a immédiatement été licencié. Podemos : El País voue au jeune parti et à Pablo Iglesias une aversion farouche (et déteste avec la même cordialité Mélenchon). Macron : El País l’aime d’amour. Même passion sans nuance pour tout ce qui émane de près ou de loin de l’Europe. La monarchie espagnole : soutien indéfectible de la rédaction à cette institution d’un autre âge intronisée par Franco.

La presse régionale

Notre presse régionale ne tient pas la comparaison avec les journaux régionaux espagnols. Même des publications à faible tirage (La voz de Galicia, Diario de Bilbao..) proposent souvent des articles de fond bien écrits (et sans fautes) sur des sujets nationaux ou internationaux. Quant à La Vanguardia, journal barcelonais, plutôt conservateur mais très fréquentable, c’est le journal le plus lu après El País ; il se vend dans toute l’Espagne. Comble de confort pour les lecteurs de la presse régionale (mais aussi nationale) espagnole : les titres n’y sont jamais infestés d’incessants et laborieux jeux de mots, comme c’est le cas en France.

Presse satirique

On a récemment évoqué en Espagne le quarantième anniversaire de la disparition de El Papus. Ce journal satirique a été publié pendant quelques années, avec un très fort tirage, juste après la mort de Franco ; d’inspiration anarchiste et d’un style rappelant celui de Hara-Kiri, il était témérairement audacieux dans la critique des franquistes encore solidement installés à tous les postes de responsabilité. Suite à la publication d’un photomontage tournant en dérision Millán Astray, l’un des icônes du fascisme espagnol, un colis piégé ravage les locaux du journal et tue un employé. La revue ne s’en remettra jamais. À noter que les responsables de l’attentat seront retrouvés (ils forment le groupuscule Alliance Apostolique Anticommuniste et se vantent publiquement de leur exploit) et condamnés … à rien du tout. Certains journalistes rejoindront un hebdomadaire toujours publié de nos jours, El Jueves, qui propose articles et bandes dessinées d’une liberté de ton et d’une pertinence qui n’ont rien à envier à Charlie-Hebdo.