Tapage 38

L’Éducation Nationale au service public du Privé ?

By 18 décembre 2016 No Comments
On sait que le sujet de l’école privée est conflictuel. Mais au-delà de la polémique, il est utile de garder à l’esprit les données chiffrées d’une question qui révèle un enjeu politique majeur : quelle ambition d’émancipation sociale avons-nous pour notre système éducatif ?

Il est des sujets capables, en quelques minutes de transformer un repas de famille en remix moderne de Fort Alamo, avec bataille de choucroutes et jets de saucisses possibles en fonction des quantités de vin d’Alsace ingurgitées dans la phase d’observation initiale. On en connaît tous quelques-uns… pour les adeptes de « sport », il paraît que certaines saillies concernant les qualités ou défauts supposés d’équipes de foot, que mon ignorance m’interdit de nommer, peuvent amener de longues inimitiés. D’autres sujets nous guettent. La corrida pourra avantageusement animer un souper, ou bien, et ce n’est pas incompatible, l’annonce de conversion au véganisme d’un des invités à l’arrivée d’une côte de bœuf préalablement bien arrosée de Côte Rôtie, de Côte de Bourg ou de Blaye (à votre guise). Mais à n’en pas douter, un des sujets les plus propices à marquer nos antagonismes latents reste le débat sur « l’école libre » !

Le libellé est à lui seul un programme… une mise en bouche qui mérite sarcasme, car, jamais nous ne pourrons nous vanter, au contraire de certains de nos interlocuteurs putatifs, d’être d’ardents défenseurs de « l’École assujettie ou captive »… c’est moins tendance, moins qualitatif comme adjectif. En tout cas, un conseil avant de vous lancer dans le débat… veillez à votre propre sobriété et à celle de vos comparses, mieux vaut avoir les idées claires pour aller à cette conversation.

Quelques chiffres

Cela permettra déjà d’avoir en tête que si le ratio élèves dans le privé/élèves dans le public est à peu près de 20%-80% ; près de 50% des élèves de France sont passés à un moment ou un autre dans une « école privée » : 49% d’après Philippe Meirieu, grand pédagogue public, qui sait de quoi il parle puisqu’il y scolarisa ses enfants… à son grand regret postérieur : il souhaite maintenant « l’existence d’un seul et unique système scolaire » Ce chiffre est à prendre en considération car il résume la nature du phénomène : avec 50% d’élèves scolarisés à un moment ou un autre dans une école catholique (98% des écoles privées sont des écoles catholiques), on dépasse de loin l’école de l’adhésion religieuse. Les motivations sont plurielles et s’expliquent le plus souvent par l’amour de ses enfants, la volonté de les préserver et de les amener vers un meilleur avenir. Seulement, comment est-on arrivé à penser que ce chemin pavé de bonnes intentions passe par l’école St Glinglin ou le Collège de l’immatriculé Conception ?

Sans doute parce que la rumeur le dit… et certaines statistiques le sous entendent : plus de 50% des enfants de patrons font l’ensemble de leur scolarité dans ces établissements. Et que dire de nos hommes politiques ! Même ceux qui ne savent plus ce qu’ils ont appris à l’ENA n’ont fréquenté le système éducatif public qu’une fois assis sur les bancs de cette institution d’un élitisme absolu ! Une forme de pragmatisme conseille donc cette éviction du public. La peur aussi ! Depuis des années, la presse se fait écho des soubresauts qui agitent certains collèges publics, certains lycées. Violences, absentéisme, niveau… Le buzz fait le reste, sans forcement de véritables fondements, mais certains établissements inquiètent. Comme il s’agit de la prunelle des yeux de leurs concepteurs, d’aucun peuvent décider de mettre un mouchoir sur quelques idéaux et se tourner vers une école qui va sélectionner, une école qui va protéger d’autant plus que l’on paiera pour cela. Cette transaction transformera d’ailleurs le rapport que les parents auront désormais avec l’établissement et l’École en général… les ancrant dans un consumérisme scolaire. Au point qu’il n’est pas rare d’entendre certains déclarer « avec ce que l’on paie, ils ont intérêt à trouver un prof de maths ! »… Ce qu’ils font d’ailleurs avec célérité, sachant que cela joue en leur faveur dans la concurrence qu’ils livrent au secteur public.

Concurrence faussée

Une concurrence qui d’ailleurs répond aux règles de la publicité avec ses moments forts, comme les classements aux examens… moment de choix pour justifier ceux des parents aimants qui constatent, statistiques à l’appui à quel point « le privé » est plus efficace que le « public » ! Surtout lorsque l’on peut choisir ses élèves, ne pas garder celles et ceux qui n’auront pas des résultats à la hauteur d’une renommée à préserver… bref, quand on peut ne garder et ne recruter que des Usain Bolt pour démontrer que c’est notre méthode qui apprend à courir vite, quand le service public est obligé, et c’est sa grandeur, d’essayer de faire courir tout le monde !

Une fois ces éléments en tête, vous pourrez commencer à causer… en vous étonnant dans un premier temps qu’au pays de « l’égalité et de la fraternité », ce soient nos impôts qui financent cette forme de ségrégation policée lorsque toutes et tous parlent de nécessaire mixité sociale. En effet, la quasi-totalité des enseignants de « ces enfants » sont payés par l’argent de familles qui n’y mettent pas les leurs. Ce n’est rien d’autre qu’une forme de mutualisation des dépenses : faire payer le choix élitiste d’une minorité par une majorité qui pour sa part restera uniquement abonnée au service public et gratuit… par volonté ou manque de moyen !

Encore plus agaçant, lorsque l’on sait que certaines communes de France (plus de 800) ne possèdent même pas d’école publique et que de fait l’enseignement confessionnel jouit dans ces localités d’un véritable monopole qui laisse muets les militants du libre choix et de la liberté scolaire si prompts à défiler lorsqu’une infime réforme menace les restes des congrégations. Seulement, à ce moment du débat (en général au moment du hors d’œuvre), il est encore préférable d’éviter de tomber dans la facilité de formules incantatoires du style : « moi, je suis pour la nationalisation de toutes les écoles privées ! » Ce serai aller vite en besogne ou l’occasion de clore définitivement la conversation avec des invités que l’on ne convaincra jamais de la faisabilité de la chose.

Elitismes

Il est préférable, en pédagogue pacifiquement sournois d’en donner aussi pour son grade à l’école publique, dont certains établissements parisiens sont aussi élitistes que la plupart des écoles privées ! Il y a aussi une « privatisation », un écrémage insupportable au Lycée Henri IV, à Louis Le Grand… que l’on ne peut garder sous silence sauf à vouloir perdre tout crédit ! Car le souci est bien plus global qu’une simple guerre de tranchées entre le privée et le public, c’est bel et bien la philosophie éducative qui est en cause et la mise en concurrence de deux mêmes modes de fonctionnement élitiste qui s’appuie sur toute une série de ségrégations spatiales, sociales et culturelles. La question qui doit alors se poser est le rôle de l’Éducation… son objectif pour nos enfants, pour nos élèves ! S’il est question d’émancipation et d’égalité, notre système, tant privé que public, a de piètres résultats qui peuvent se résumer par une reproduction des élites et des classes sociales.

Or, les pays où justement les systèmes éducatifs réussissent le mieux à casser cette lourdeur des origines sont des systèmes… sans école privée (CQFD) ! Des systèmes comme celui de la Finlande, qui même s’il n’est pas reproductible à l’identique en France a bien des mérites, dont le principal est d’offrir un service public d’une telle qualité qu’aucune école privée n’est en mesure de rivaliser ! C’est sans doute cette objectif qu’il faut poursuivre… dans la discussion mais aussi en politique, pour clore ce vieux débat en sortant par le haut. Mais pour cela, il faudrait des hommes et femmes politiques à la hauteur des enjeux ! Or, c’est bien le problème de confier des questions comme l’avenir de l’École Publique ou même de l’Hôpital du même nom, à des personnes qui n’y ont jamais mis les pieds et n’y mettront jamais leurs enfants ! Mais quand on a des communes dirigées par des maires qui n’y vivent même plus… comment s’attendre à autre chose !