Tapage 36

Féminisme et transformation sociale au Kurdistan

By 22 juin 2016 No Comments
La situation géopolitique au Moyen-Orient est un élément fondamental pour comprendre les enjeux sur les migrations ou encore le développement du terrorisme. Si l’on a beaucoup parlé de la résistance kurde au moment du siège de la ville de Kobané par les terroristes de Daech, on a trop souvent passé sous silence qu’à la base de la lutte armée se trouve un projet de société démocratique dans lequel les femmes jouent un grand rôle. Car entre l’intégrisme religieux politique et les régimes autoritaires, une troisième voie démocratique et de transformation sociale existe : c’est notamment celle du Kurdistan, où l’expérimentation concrète d’une autre société se fait quotidiennement.

Le Mouvement des femmes kurdes s’est organisé au milieu des années 80 en Europe. La première action de sensibilisation des femmes à tous les niveaux de la société fut tout d’abord d’évaluer leur situation au sein des communautés, les discriminations auxquelles elles étaient confrontées et leur niveau social et politique, afin de pouvoir œuvrer à des projets aboutissant à leur émancipation sur le long terme. Les coutumes archaïques issues du féodalisme régnaient et règnent encore dans beaucoup d’endroits au Kurdistan. Cette première association joua un rôle important à son époque pour la prise de conscience des femmes kurdes concernant les problèmes de violence à leur égard sous toutes leurs formes. Pour cette mouvance, l’enjeu principal au sein de la société kurde consistait à déclencher une réflexion et une interrogation au sujet des relations du pouvoir patriarcal qui imprégnait toutes les classes sociales. Pour la première fois, les femmes avaient l’opportunité de déchiffrer ces codes de domination masculine sous tous ses angles, pour ensuite analyser et œuvrer à des stratégies pratiques visant à contrer ces approches par le biais d’organisations associatives, politiques et d’autodéfense.

La place des femmes au Kurdistan

Aujourd’hui on assiste à la mise en œuvre de ce projet de contrat social dans toutes les parties du Kurdistan. Au Kurdistan du Nord, les femmes sont aujourd’hui représentées dans toutes les instances politiques et associatives de façon égalitaire par rapport aux hommes, grâce au système de coprésidence. Concernant le pourcentage général de la place des femmes à la Grande Assemblée nationale de Turquie, le nombre des députés femmes du parti HDP (le parti politique kurde de Turquie) est le plus élevé. Ce système de coprésidence existe aussi dans toutes les municipalités acquises par le HDP aux dernières législatives. Toutes les mairies sont aujourd’hui coprésidées. Cela correspond à une représentation directe de la volonté des femmes dans toutes les instances politiques. Elles sont aussi parallèlement une composante du Mouvement démocratique de libération des femmes (qui rassemble toutes les ethnicités, identités de genre, féministes, artistes, écologistes, anarchistes, ONG humanitaires et représentations politiques qui se retrouvent dans les valeurs de libération des femmes).

Une résistance qui s’organise

Le Rojava — le Kurdistan occidental syrien, de facto autonome — est un modèle démocratique pour le Moyen-Orient et une révolution féminine. Aujourd’hui, quartier par quartier, les femmes créent des associations éducatives et sociales pour veiller au développement et à la sécurité des enfants dans un pays en guerre depuis trois ans. Les femmes kurdes du Rojava se sont mobilisées avec les femmes arabes, turkmènes, assyriennes et alévies pour trouver des solutions politiques et sociales collectives pour l’émancipation des femmes. Elles sont la force motrice de la révolution et les architectes d’un système démocratique débarrassé des approches uniquement patriarcales. Les femmes kurdes du Rojava sont pleinement engagées et sont l’un des piliers du système appelé « autonomie démocratique du Kurdistan syrien ». Elles ont eu accès à tous les niveaux de l’administration autonome, formée de trois cantons. C’est une révolution dans la révolution. L’instauration de ce système démocratique autonome prend aussi en compte toutes les spécificités sociales et politiques de la communauté et les réflexions conflictuelles sur la place des femmes dans les mécanismes d’autogestion du système démocratique autonome.

Les femmes dans les combats militaires

Aujourd’hui, elles sont mobilisées en grand nombre au sein des Unités de protection du peuple (YPG), mais aussi dans des unités féminines non mixtes de l’YPJ. Elles sont jeunes, dynamiques, et révoltées face à ces attaques inhumaines qui menacent leur peuple d’extinction. Certaines, comme Arin Mirkan, n’hésitent pas à se sacrifier pour la liberté de leur peuple, la protection des femmes et des enfants. Ce sont ces mêmes combattantes de l’YPJ qui avaient ouvert un corridor humanitaire aux monts de Sinjar pour sauver la population et particulièrement les femmes yézidis des mains de Daesh, afin d’empêcher qu’elles soient kidnappées, violées, exécutées, vendues dans les bazars de l’esclavagisme sexuel. Les combattantes kurdes de l’YPJ continuent à se battre sans relâche

Militantes kurdes assassinées

Une manifestation a eu lieu début janvier en souvenir des trois militantes kurdes assassinées à Paris en janvier 2013. Malgré des documents qui attestent de la connexion du présumé meurtrier Omer Güney avec les services secrets turcs, les forces qui ont commandité ce crime n’ont toujours pas été officiellement identifiées. On peut se demander pourquoi la justice française – la même qui signe des accords avec la Turquie pour le partage des données personnelles des détenues sous contrôle judiciaire ou des réfugiées politique en France, comme Sakine Cansiz, qui devait être sous protection selon la Convention de 1954 relative au statut des apatrides – n’a pas demandé à la Turquie le contenu de son dossier d’instruction sur ce triple assassinat. Pourquoi, à ce jour, les familles des victimes n’ont pas été reçues par le gouvernement français ? On ne sait pas à l’heure actuelle la date à laquelle se tiendra le procès.