Tapage 31

Du global au local, radiographie du centre commercial « les saisons de Meaux »

By 30 septembre 2015 No Comments
TAP31_Auchan
Un «citoyen meldois » évoquait dans le précédent Tapage le centre commercial Immochan. Condamner le libéralisme triomphant, dénoncer l’emprise des grandes surfaces, s’inquiéter de l’impact d’un tel projet et le critiquer, c’est légitime. Encore faut-il le faire de façon sérieuse et documentée, en prenant en compte toutes les données du problème, du contexte global aux retombées locales.

Fort de plus de 300 000 salariés dans le monde et de 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires, l’empire des Mulliez constitue le premier acteur familial de l’économie française, une galaxie d’entreprises contrôlées par les membres de l’Association Familiale Mulliez, non cotée en bourse. Il est vrai que le groupe Auchan a inauguré la première polémique liée au CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi) Le groupe devrait toucher près de 120 millions d’euros pour 2013 et 2014 tout en supprimant des emplois : 500 embauches d’employés, mais 800 postes de cadres et agents de maîtrise supprimés, sans licenciements. À la tête de cet empire, Vianney Mulliez, dont la stratégie est illustrée par Europa City, le plus grand centre commercial et de loisirs du monde situé entre Gonesse et Roissy. Ce projet pharaonique, sans hypermarché, devrait sortir de terre à partir de 2017. Auchan vient aussi d’ouvrir un hyper dans le centre Aéroville à Tremblay-en-France et Roissy et est aussi présent à Val d’Europe contrôlé par Klépierre, un autre géant de l’immobilier commercial qui gère aussi les « Sentiers de Claye-Souilly ».

Malgré la crise, le chômage et ses conséquences en termes de pouvoir d’achat, malgré l’essor du commerce électronique, on voit que les centres commerciaux continuent de se développer. Dans ce contexte, comment apprécier l’installation du centre des « Saisons de Meaux » développé par Immochan, la société du groupe Auchan spécialisée dans l’immobilier commercial ?Ce projet s’insère dans le Parc d’Activités du Pays de Meaux, 160 ha à l’ouest de Meaux bénéficiant d’une excellente accessibilité grâce à la RN3 et à l’A140. Il est prévu de longue date et inscrit dans le schéma directeur bien avant la création de la CAPM (2003) et même avant l’arrivée de J.F. Copé à la mairie de Meaux (1995).

Aujourd’hui, c’est une 1ère phase de 80 ha qui est développée sur les communes de Chauconin-Neufmontiers et Villenoy afin de dynamiser le pays de Meaux face aux géants de Marne la Vallée et Roissy, de créer des emplois et, s’agissant spécialement du centre commercial, d’éviter la fuite de clientèle vers Val d’Europe et surtout vers Claye-Souilly. On peut s’interroger sur l’intérêt d’installer un nouvel hyper marché sur le Pays de Meaux : Carrefour, Leclerc, Aldi, Lidl et Leader Price aujourd’hui, c’est environ 65 000 m2 de surface de vente. Mais l’hyper Auchan ne fait que 13 500 m2, c’est l’ensemble du centre commercial qui fait 70 000 m2. Contrairement à certaines informations, l’arrivée d’Auchan ne va donc pas doubler la surface de vente en grande distribution dans le pays de Meaux dont la population devrait atteindre 100 000 habitants en 2020, soit 15 000 de plus qu’aujourd’hui.  Comparé aux centres commerciaux concurrents, ce projet fait figure de petit poucet : 100 boutiques contre 140 à Claye et 160 à Val d’Europe (sans compter la Vallée Shopping) 3 millions de visiteurs attendus contre 6 à Claye et plus de 16 à Val d’Europe.

Les « Saisons de Meaux », conçu par le cabinet d’architectes Arte Charpentier, a été choisi en 2008 face aux plus puissants acteurs du secteur, certains ayant sombré corps et bien depuis dans la tempête financière. Son atout, c’est d’abord la solidité et le savoir-faire du groupe Auchan qui n’est pas côté en bourse et garde dans son patrimoine ses centres commerciaux. Le groupe met en avant la qualité de la conception architecturale et sa cohérence du fait de sa compacité et de ses qualités environnementales certifiées par le label BREEAM « very good », le standard de référence en termes de construction durable. Des parkings (1480 places) principalement en sous-sol et en silo sur 3 niveaux et seulement 385 places extérieures, des bassins filtrants et des noues pour les eaux pluviales, 50 000 m2 d’espaces verts et 33 000 m2 de toitures végétalisées.

Certes les 13 ha du projet ; dont seulement une part sera bâtie, se substituent à des terres agricoles. Mais ne confondons pas espaces agricoles et espaces naturels. Ces surfaces « soustraites » au bénéfice de l’activité commerciale ne sont rien à côté de l’urbanisation sous la forme pavillonnaire que nous connaissons depuis des décennies… Quant à évoquer la suffisance alimentaire de la région de Meaux, c’est tout simplement risible ! Les inquiétudes sont plutôt dans l’accroissement de la circulation automobile dans cette partie de l’agglomération, même si les études de trafic se veulent rassurantes. On notera d’ailleurs qu’aucune voix ne s’est élevée contre ce projet, contrairement à Aéroville ou à Europa City. Les seuls recours, rejetés, sont ceux de concurrents pas très fair play, notamment dans le domaine du bricolage, avec des arguments surréalistes basés sur la défense de l’environnement et du petit commerce local !

Dans une enquête réalisée en 2011 dans la commune siège, Chauconin-Neufmontiers, 84% des habitants ont considéré que le centre commercial aura des effets positifs ou très positifs. Il faut dire que les retombées financières pour la commune sont considérables (taxe sur le foncier bâti), comme pour l’agglo qui va empocher la taxe sur les surfaces commerciales, la contribution foncière des entreprises et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

De nombreux emplois sont aussi à la clé, 1 000 emplois directs, avec déjà 250 recrutements en cours seulement pour Auchan. Vont suivre Décathlon, les enseignes de la galerie marchande puis Leroy Merlin… Qui, dans le contexte actuel, peut faire une croix sur ces centaines d’emplois ? Soutenir qu’un emploi créé dans ce domaine supprime neuf emplois ailleurs est totalement fantaisiste. Certains pointent le prix excessif des loyers (autour de 80 euros par m2 et par mois) pour expliquer les difficultés de commercialisation des boutiques mais plus de 75% sont déjà réservés à 8 mois de l’ouverture.

Quel est l’avenir du commerce de centre-ville meldois ? La fermeture des commerces de bouche et l’invasion des franchisés et autres « kebab » ne datent pas d’hier ! Les causes sont multiples mais ces petits commerçants feraient bien de s’interroger aussi sur leur propre responsabilité et (enfin) de se réveiller… C’est ce qui se dessine sous l’impulsion de l’association des commerçants de Meaux (« acheter à Meaux ») avec des animations tout au long de l’année, telle l’opération chèques cadeaux, une façon de faire valoir leurs atouts, qualité des produits et accueil. Certains d’entre eux jouent d’ailleurs sur les 2 tableaux en ouvrant une boutique aussi dans le centre commercial, il est vrai pour l’essentiel des franchisés. On notera enfin qu’Immochan a financé une partie du « Plan Marschall » pour la rénovation du centre-ville de Meaux ainsi que des aides au développement du petit commerce dans le cadre du FISAC, ou à la Maison de l’Emploi.

Conclusion :
Que le système économique en général et la grande distribution en particulier contribuent à pressurer les producteurs notamment agricoles, que les centres commerciaux et de loisirs ne représentent pas l’idéal de la civilisation à laquelle nous aspirons, c’est une évidence. Auchan est sans aucun doute un des fleurons de ce système mais reste un groupe de grande distribution atypique par sa structure familiale et ses valeurs inspirées du catholicisme social qui le rattachent plus au capitalisme paternaliste qu’à la finance internationale.